LA SCIENCE CHASSÉE
DE L’UNIVERSITÉ
« —
Mais qui contrôle leurs cours ? J’ai cru voir qu’ils donnaient
leurs cours de manières très diverses... Il n’y a pas de coordination.
— Oui, il y en a dans les instituts, à divers degrés. Sinon, il n’y a
pas de contrôle. On n’engage pas les professeurs pour les obliger à
enseigner selon un modèle prescrit. »
Francine Lachance, La Québécie
1
Il est entendu que
l’université se consacre à la recherche et à l’enseignement. Il ne
s’ensuit pas pourtant qu’elle se voue aussi à la science.
Qu’enseigne-t-elle donc ?
que recherche-t-elle, si ce n’est la science ? Le paradoxe paraît
trop massif pour n’être pas une simple erreur. Si les étudiants
apprennent, n’est-ce pas qu’on leur offre des savoirs, qu’on leur
transmet des sciences ? Si les chercheurs cherchent et trouvent,
n’est-ce pas qu’ils veulent accroître nos sciences et le font ?
Oui, c’est du moins ce que l’on dit et ce qui arrive peut-être encore
réellement — mais, heureusement, de moins en moins souvent.
Avouons d’entrée de jeu qu’il
y a une ambiguïté dans ces termes : « science »,
« sciences », « savoir », « savoirs »,
qui a permis la formulation du paradoxe précédent. En un sens fort,
traditionnel, un peu suranné, le savoir est la saisie de la
vérité ; la science, ce savoir ou la discipline qui le vise. En un
sens plus faible, et plus courant, les savoirs ne sont que des opinions
largement admises ou des informations ; les sciences, que des
méthodes généralement acceptées et les recettes ou techniques qu’elles
permettent de produire. Alors rien n’empêche que l’université
n’enseigne et ne recherche les « savoirs » et les
« sciences » sans pourtant se soucier vraiment ni du savoir
ni de la science.
Certes, qui ne sait qu’il y a
de bonnes raisons à cette modeste retraite ? Depuis longtemps, si
longtemps qu’on ne se rappelle même plus quand la question a été
réglée, on sait que la vérité est inaccessible et que les savoirs n’ont
qu’un rapport flou avec cet idéal inatteignable et ridicule. On le sait
précisément de cette science que transmet l’université et qui a compris
la nécessité historique, économique, sociale, politique, psychologique
et épistémologique, de se soucier de moins en moins de la
« vérité ». Pourtant, s’il est de mauvais ton, voire
condamnable, de croire à la vérité, il convient d’accepter au contraire
comme certitude l’idée qu’elle ne peut pas être prise au sérieux.
Rions donc ! Rions des
naïfs qui prennent au sérieux le savoir, la science, la vérité, et la
mission de l’université à leur égard. Ils n’ont rien compris à la
spécificité de notre culture. Ils ne savent pas ce que les enfants,
après avoir vu un peu de publicité, ont déjà saisi : que ces vieux
mots de science ou de vérité ne sont pas utilisés au sens propre, mais
d’une manière ambiguë, où il faut comprendre à la fois une allusion à
l’idée suggérée et son exclusion, voire la désignation de son
contraire. Mais comment empêcher certains innocents de croire qu’avec
la mousse du bain, on achète la jolie fille qui s’y baigne, et son
bonheur ?
Pour ces naïfs — car pour les
autres, on serait mal venu de régresser à la platitude d’abandonner les
métaphores —, disons une fois en termes simples, prosaïques, ce qu’est
l’université : une école professionnelle et un bureau
d’adaptations et d’inventions techniques.
Je le sais, il fut un temps où
les professeurs, les étudiants et d’autres idéalistes (à leur décharge,
il faut rappeler qu’ils n’avaient été éduqués ni par nos publicités ni
par nos universités) prenaient littéralement ces beaux mots par
lesquels leurs successeurs déniaisés désignent encore leurs activités
et leurs buts. Le malheur est que, contre toute évidence, certains
restent pris dans les filets de cette tradition et continuent à y
croire. Combien de trouble ces inadaptés ne risquent-t-ils pas de
causer dans nos institutions ! On ne saurait veiller assez non pas
tant à les éclairer qu’à les habituer enfin à la pénombre ambiante dans
laquelle les choses prennent avec tant de facilité et d’opportunité des
apparences contraires.
J’aimerais ici d’abord faire
sentir la réalité de ces dangers, et ensuite proposer une cure pour les
récalcitrants qui nous font courir ces périls.
2
En premier lieu, certains
traits de la psychologie des nostalgiques de la vieille culture sont
utiles à noter, parce qu’ils conditionnent les modes de leur résistance
à la réalité socio-économique actuelle.
Pour comprendre l’effet
étonnant de leur croyance en la valeur directe, voire absolue, de la
vérité et de la science, il faut remonter à des phénomènes perdus dans
l’obscurité de l’enfance pour la plupart d’entre nous. Nous voyons les
enfants demander pourquoi ceci, pourquoi cela. Nous leur
répondons ; et ils se calment, trouvant de nouveaux objets pour
leurs questions. Parfois, il y a des blocages étranges dans ce jeu.
Subitement, l’enfant s’enlise dans une sorte de cercle, il fait tourner
ses questions sur elles-mêmes, paraît vouloir autre chose que nos
explications habituelles, qu’il semble contester au nom d’une réponse
possible d’une autre nature. Il demande par exemple « pourquoi y
a-t-il des télévisions ? » — « parce qu’on en construit
dans de grandes usines... » Et au lieu de continuer
naturellement : « pourquoi est-ce qu’il y a des
usines ? » etc., il se met à demander pourquoi on en
construit, pourquoi on en désire, pourquoi nos réponses sont vraies,
etc. Ces déviations de la curiosité naturelle finissent mal, dans les
pleurs, dans une oisiveté taciturne ou dans la bouderie, quand ce n’est
pas la neurasthénie. Bref, il y a un subit entêtement, une résistance à
la réalité commune, la recherche parfois délirante d’une sorte de tache
aveugle.
Tels sont aussi les sectateurs
de la vérité. Ils recherchent obstinément quelque chose d’invisible, de
non disponible, d’incalculable, qui les empêche de se satisfaire des
explications les plus communément admises. Quelques-uns prennent la
figure typique du savant, dans les nuages, incapable de prendre pied
solidement dans la réalité. D’autres paraissent plus normaux au premier
abord. Ils se retrouvent dans la réalité comme chacun, même avec
habileté parfois. Mais leur manie se marque à certains moments par les
questions hors contexte qu’ils ont tendance à se poser, freinant par
leurs problèmes inopportuns l’avance des processus les mieux engagés.
Dans tous les cas, ils sont des partenaires peu fiables qui vont
manifester à un moment ou à l’autre leur idiosyncrasie, au lieu de se
couler harmonieusement jusqu’au bout dans l’action commune. Comme
chercheurs, ils tendent à dévier du projet initial en cours de route.
Comme professeurs, ils s’égarent dans des questions inutiles et perdent
de vue la formation efficace des futurs actants économiques et sociaux.
Comme étudiants, ils sont inquiets, insatisfaits même quand leurs
résultats sont brillants, parfois insoumis, presque toujours obsédés
par l’idée saugrenue qu’il y a un secret que leurs études ne leur
révèlent pas.
Ils sont heureusement assez
isolés dans nos rangs. Mais, malgré cette relative solitude, ils
forment une sorte de société avec des exigences assez communes, qui, on
l’imagine, vont à l’encontre du bon ordre de nos universités. Pour les
avoir fréquentés et écoutés parler entre eux quand le hasard des
rencontres les rassemble par tout petits groupes, je sais assez bien ce
qu’ils désirent. Plus encore, non seulement je connais leurs
revendications, mais j’ai calculé ce vers quoi elles tendraient si on
leur donnait libre cours. Afin de bien reconnaître le danger dont nous
menace leur présence parmi nous, je vais donc décrire la sorte d’utopie
qui me paraît résulter de leurs exigences, en montrant comment elle en
découle.
3
A l’opposé du scientifique
nouveau style, le savant plus traditionnel n’accepte pas, dans sa
science, la haute autorité sociale, plus ou moins conventionnelle.
Assurément, il donne un poids, qui peut être très grand, aux résultats
de la recherche de la communauté scientifique. Mais il assortit son
respect d’une sorte de doute de principe, portant non pas tant sur les
résultats partiels eux-mêmes que sur leurs fondements, car c’est encore
de ce côté essentiellement qu’il situe la vérité à laquelle seule il
reconnaît une autorité ultime, bien qu’il reste souvent incapable de
dire exactement en quoi elle consiste. En cela, bien que la différence
n’apparaisse pas évidemment dans la pratique courante, il conçoit le
progrès de sa recherche dans le sens inverse du scientifique de la
nouvelle génération. Celui-ci, dégagé du préjugé de la vérité, est
toujours prêt à modifier les lois plus particulières de son domaine de
recherche pour les adapter sans façons aux exigences de la réalité
étudiée — un peu comme le gestionnaire modifie les règlements spéciaux
selon les besoins du cas précis à résoudre —, tandis que la structure
théorique plus générale de la science, son cadre social et économique,
lui paraissent doués d’une autorité qu’il n’envisage guère d’ébranler.
Au contraire, le savant traditionnel paraît souvent moins disposé à se
consacrer à ces réformes de détail, un peu cavalières à son jugement,
alors qu’il interroge toujours avec quelque inquiétude ou malin plaisir
les fondements du bâtiment des sciences. La différence des résultats
est claire : les uns produisent davantage de résultats utiles,
alors que les autres tendent à se perdre dans des recherches qu’ils
peuvent bien nommer fondamentales pour leur donner une apparente
dignité, mais qui ne sont tout au plus que d’une hypothétique et
lointaine utilité, pour ne pas dire d’une simple inutilité actuelle.
De cette différence d’attitude
envers l’autorité scientifique naît une conception différente aussi du
statut de l’homme de science. Dans toutes ses études, le futur savant
ancien style aborde les autorités scientifiques avec un mélange de
respect très profond et d’irrespect en même temps, aussi paradoxal que
cela puisse paraître. Il voit en effet dans ses maîtres, par exemple,
des initiés possibles, qui se sont approchés de la vérité plus que lui.
Et l’idée de cette proximité lui donne une sorte de vénération pour
eux. Mais, de l’autre côté, c’est à la vérité seule qu’il attribue
toujours l’autorité ultime, de sorte qu’il est toujours prêt aussi à
relativiser par rapport à son exigence de vérité la totalité de
l’enseignement qu’il reçoit. Plus que l’exposé de théories achevées,
avec toutes leurs conclusions, et l’insistance sur les informations
pratiques destinées à permettre d’aborder rapidement les applications
de la discipline dans la vie professionnelle ou la recherche, il
demande des aperçus sur les principes, sur les structures
fondamentales, et la liberté de les examiner à loisir pour en éprouver
la cohérence et... la vérité. (Oui, la prétention est dérisoire, mais
c’est pourtant bien ainsi — j’ai eu l’occasion de m’en convaincre à
plus d’une reprise — qu’ils envisagent leurs études, même s’ils n’osent
pas tous, comme les plus audacieux, l’avouer immédiatement.) Il y a là,
inutile de le cacher, quelque orgueil, qui fait que ce type d’étudiants
a une certaine inclination pour une forme de culture semi-autodidacte.
Il s’ensuit une résistance à l’ordre soigneusement planifié de nos
programmes d’études, souvent une errance d’un programme à l’autre, une
perte de temps, l’introduction d’un début de confusion ou d’anarchie
dans l’ordre général des études, et enfin, parfois, l’abandon, par
épuisement et déception (la révolte ouverte, heureusement, n’est plus
que le mauvais souvenir d’âges révolus).
Demandez à ce genre d’étudiant
dans quelle sorte d’université il désire faire ses études. Évidemment,
il sera rarement satisfait des structures actuelles. Ou bien il
proposera un programme nouveau, dont on remarquera vite qu’il est trop
modelé sur ses intérêts personnels pour pouvoir être généralisable, ou
bien il demandera des cours d’un plus haut niveau (et l’on s’apercevra
bientôt qu’il entend généralement par là les vaines spéculations sur
les fondements), ou bien il avouera même sa prétention à prendre en
charge une partie de ses études, et il réclamera un allègement de la
charge de cours, un plus grand nombre d’options, une liberté presque
complète de voyager à travers les programmes, les disciplines. Et
d’habitude, il aura la fâcheuse tendance de s’attacher aussi plutôt à
des professeurs (et de quelle sorte, on peut le deviner) qu’à des
matières, des programmes, des disciplines. Voilà, il faut en convenir,
une source d’anarchie potentielle toujours présente dans nos
universités.
Voyons maintenant le même
adepte de la vérité dans sa figure de professeur, et d’abord en tant
que chercheur.
En premier lieu, sans aller
jusqu’à prétendre que ces chercheurs-là ne s’adaptent pas au travail en
équipe, il faut avouer cependant qu’ils s’y prêtent moins
naturellement, sauf dans des cas particuliers : quand ils dirigent
eux-mêmes l’équipe, quand leur collaboration est accessoire, ou quand
ils ont le bonheur rare de se trouver avec des compères qui partagent
leur style et leurs intérêts. L’allégeance à la vérité s’accorde
d’habitude assez mal avec le caractère « démocratique » des
équipes de recherche modernes. Du reste, les mouvements parfois
imprévisibles que réclame la pure recherche de la vérité ne permettent
pas non plus la programmation efficace, régulière, du cours de la
recherche, ainsi que le réclament les systèmes de subventionnement dont
nous bénéficions. En outre, la déviation fréquente chez eux par rapport
au discours couramment admis ne facilite pas le « jugement des
pairs » auquel on soumet aujourd’hui les chercheurs pour l’ordre
et le bien de tous.
Il découle de ce style de
recherche l’idéal d’une institution fort différente de nos universités.
L’insistance traditionnelle
sur la liberté de la recherche universitaire représente peut-être le
cri de rassemblement des chercheurs de vérité. Car, lorsque la vérité,
cherchée ou trouvée, est seule reine, toutes les autres considérations
deviennent accessoires et sont considérées comme des entraves.
L’efficacité, l’utilité, les coûts, l’opportunité et même l’opinion des
pairs (surtout quand il y a parmi ces derniers une majorité de gens que
nos orgueilleux sectateurs de la vérité ne reconnaissent pas du tout
comme leurs pairs) ne comptent guère. Si la recherche doit être libre
comme ils le voudraient, il faut simplement que le chercheur n’ait pas
à justifier chaque fois pourquoi il se lance dans une direction plutôt
que dans l’autre. Il a donc besoin d’un crédit touchant sa personne et
ses capacités de savant, pour lui permettre de se dispenser de prouver
chaque fois que ses projets répondent à des critères relativement
indépendants de son propre jugement sur les raisons qu’il a de les
former et de les réaliser. Par conséquent, les conditions de recherche
dont il a besoin consistent, si nous mettons à part les équipements
indispensables à chaque type de recherche, en un lieu réservé qu’il
puisse aménager à sa manière — et parfois où il le désire —, en un
loisir non contrôlé surtout, en une équipe, éventuellement, qu’il
puisse diriger à sa façon. Bref, il n’exige rien de moins qu’une sorte
de petite seigneurie, reconnue et supportée par son milieu social (ou
tolérée au pis-aller).
Avant de passer à la
caractérisation de l’institution correspondante, observons notre
personnage comme enseignant, car on y retrouve largement les mêmes
traits que chez le chercheur. En effet, il se soucie peu de se rendre
utile à la société en formant des professionnels efficaces pour le
marché du travail. Il tend à supposer chez ses étudiants un intérêt
semblable au sien pour le pur idéal de la vérité ; et même
l’évidence contraire, chaque année répétée, ne parvient pas à lui faire
ouvrir définitivement les yeux sur son illusion. Il n’a donc pas de
goût pour la transmission des supposés savoirs de la communauté, et il
se concentre soit sur l’exposé de ses recherches, soit sur une
formation à la recherche dans le sens où il la pratique. C’est
pourquoi, ici aussi, il exige l’autonomie ; et toutes les
ingérences dans son enseignement, soit pour le soumettre à des
programmes, soit pour le rendre efficace pédagogiquement, lui
paraissent affecter son objet. Il réclame donc la même liberté que pour
la recherche, le même crédit global de la part de son université.
Maintenant, il est facile de
voir comment tous ces aspects convergent vers une idée de l’université
incompatible avec son organisation présente. Imaginez des professeurs
reconnus comme des princes de leur science, indépendants sur leur
territoire, libres de rechercher et d’enseigner ce qu’ils veulent, avec
des étudiants qui usent d’une liberté semblable, et s’attachent à tel
ou tel de leurs professeurs à mesure qu’ils l’estiment favorable au
développement de leur propre formation. On voit bien qu’il y a là une
contradiction. Car comment, dans cette anarchie, reconnaître les
fonctions légitimes de chacun ? Pourquoi engagerait-on tel
professeur, si les besoins précis ne sont pas définis ? Et selon
quel critère lui attribuera-t-on le statut princier garantissant sa
pure liberté de savant ?
Le problème paraît insoluble.
A moins qu’on n’envisage une solution si impopulaire, si peu
« démocratique », qu’à peine ose-t-on la formuler.
Chacun sait qu’un des grands
acquis des troubles de soixante-huit, qui sont loin d’avoir été
glorieux sur tous les points, est l’abolition, presque partout
définitive, de l’odieux examen de jadis, si tyrannique qu’il
représentait aux yeux des étudiants révoltés le symbole même de l’abus
de pouvoir perpétré à leur endroit par l’institution scolaire en
général. Or comment remettre un certain ordre dans le système assez
anarchique que nous venons d’esquisser, sinon en réintroduisant les
examens sous leur forme la plus discriminatoire ? Ces étudiants
qui voyageront à travers les cours, sans ordre précis, hors de tout
programme soigneusement préparé pour eux selon une attentive
prévoyance, cherchant par eux-mêmes dans les bibliothèques des
compléments à la formation qu’ils ne trouveront que fort partielle dans
leurs cours, il faudra finalement, d’une manière ou de l’autre, juger
de ce qu’ils savent, et, à cause du désordre de leurs études, on ne
pourra guère le faire autrement que par des examens terminaux, où ils
devront prouver d’un coup la réussite de leur formation. Ce serait
abandonner tout notre système de crédits, avec la possibilité qu’il
donne de suivre les étudiants pas à pas, pour s’assurer à chaque cours
qu’ils ne s’égarent pas. Sans même insister sur la perte que
représenterait un tel abandon d’un excellent moyen d’éducation à
l’esprit de la réalité économique dont les étudiants doivent
malheureusement rester trop éloignés pour accomplir leur formation, on
conçoit la responsabilité immense dont on accablerait ces jeunes
esprits encore trop fragiles pour se prendre en charge. Le résultat
serait effrayant : seuls les étudiants les plus doués, les plus
passionnés auraient des chances d’obtenir leurs titres.
De plus, ce système de
l’examen devrait se prolonger sous d’autres formes jusqu’au sommet de
la hiérarchie des titres. Car comment s’assurer que les professeurs
méritent la confiance qu’ils réclament pour garantir leur liberté,
sinon en les mettant à l’épreuve et en ne leur octroyant les plus hauts
grades, l’agrégation, puis la titularisation, avec l’étendue croissante
des droits qui leur seraient liés, qu’après avoir reconnu en eux les
vrais savants auxquels seuls cette liberté peut être attribuée, non
plus seulement comme un fait, mais aussi comme un droit ? Mais,
comment ne pas voir qu’ici aussi, seuls quelques-uns des meilleurs
parviendront dans ces conditions à l’ultime dignité académique et qu’il
s’établira dans nos universités une hiérarchie fort contraire à nos
mœurs « démocratiques » ? Je ne parle même pas de la
malheureuse parenté de ces épreuves avec les initiations des peuplades
primitives, qui montrent à quel point l’idée de tels sauts définitifs
d’un statut à l’autre a le caractère d’une véritable régression
historique.
Ce n’est pas tout. Qui pourra
diriger une université de cette sorte ? On imagine que ces petits
seigneurs, habitués à une presque totale liberté dans leur discipline,
seront très malaisés à conduire. Toujours, ils se réclameront de leur
autonomie pour contester les décisions des autorités universitaires.
Ils ne seront pas contents qu’ils n’aient pris le pouvoir et qu’ils
n’aient substitué à nos modes de gestion « démocratiques » un
gouvernement « aristocratique » de l’université par les
professeurs eux-mêmes. La logique de la liberté scientifique l’exige,
puisque sinon, toute mesure prise par l’administration sera perçue
comme menaçant d’affecter le champ d’autonomie de la recherche et de
l’enseignement. On en arrivera donc à cette situation absurde :
l’administration d’une université soumise à son corps
professoral ! Il y aurait là de quoi devenir, avouons-le, la risée
des cadres des autres entreprises.
De toute manière, il resterait
à régler le problème du statut de toutes les institutions qu’évacuerait
cette nouvelle structure. Une fois l’université ordonnée à la recherche
de la vérité, la formation des professionnels serait délaissée. Sinon,
ou bien il faudrait séparer de l’université les écoles
professionnelles, qui pourraient alors conserver des structures
analogues à celles que nous avons actuellement. Mais où faire passer
exactement la frontière entre ce qui devrait rester dans l’université
et ce qui devrait en être séparé ? Ou bien, il faudrait
hiérarchiser encore, rabaisser les programmes professionnels au rang de
chemins d’étude inférieurs, organisés autrement, confiés à des
enseignants situés en deçà de la hiérarchie professorale proprement
dite, aboutissant à d’autres diplômes que les branches purement
universitaires ou « scientifiques » dans le sens plus
traditionnel. Mais ces deux niveaux pourraient-ils subsister dans la
même structure sans la faire éclater ? La « base » du
personnel enseignant pourrait-elle accepter cette autorité
aristocratique comme elle accepte celle des administrations actuelles,
avec leurs conseils d’administration démocratiques ?
Voilà les dangers que font
courir à l’université les nostalgiques d’une époque où le savant se
vouait à la vérité. On peut se convaincre à présent qu’il n’était pas
exagéré de prétendre que c’est toute l’organisation actuelle de
l’université que ce ferment risque de bouleverser. Il est donc urgent
de passer à l’exposé des remèdes.
4
Le mal est trop grave pour
qu’on puisse se contenter d’une cure ponctuelle. Il faut éradiquer
totalement la maladie. Les moyens que nous proposons visent donc non
seulement à empêcher l’action des désirs pervers des
« savants » dans notre université, mais également à éliminer
ces désirs eux-mêmes en les étouffant à la naissance. C’est dire que,
dans cette guerre décisive, où enfin la rationalité planificatrice de
notre civilisation devra acquérir la victoire définitive, il faudra
frapper sur tous les fronts à la fois, et mettre en oeuvre les armes
universelles de destruction massive contre les aspirations rebelles.
Le premier principe est de
prendre un point d’appui stable pour opérer à partir du centre de nos
forces et manier de là la matière universitaire. En d’autres termes, il
faut refuser à l’université son prétendu droit de former une petite
société distincte. Il faut la pousser entièrement dans le marché et la
soumettre à ses lois. Il faut la concevoir comme une entreprise parmi
d’autres, plutôt que comme une institution d’un caractère particulier.
Toute la politique à adopter découle de la lutte à mener pour imposer
ce principe contre la résistance qu’y oppose la conception aberrante
d’une université relevant d’un autre ordre de préoccupations.
Il y a donc deux aspects à
cette stratégie : l’un positif, l’autre négatif. Le premier
consiste à importer simplement partout où une analogie en donne le
prétexte les modes d’administration des autres entreprises. C’est là
l’aspect le plus facile, parce que l’infiltration peut s’accomplir
progressivement, profitant directement du caractère d’évidence des
solutions proposées, grâce à l’influence du milieu social et
économique. Ces techniques s’insinuent aisément avec la bonne volonté
de résoudre à chaque fois les problèmes d’organisation en usant des
moyens disponibles les plus efficaces à première vue. Et ce n’est qu’au
moment où des mécanismes centraux des vieilles organisations
universitaires menacent d’être assimilés à ces nouveaux modes de
gestion que la résistance se fait à nouveau sentir. Certes, il est
peut-être déjà trop tard alors pour renverser le mouvement. Mais c’est
à ce moment que se développent dans l’université les poches de
résistance si néfastes à l’harmonie de l’ensemble. C’est pourquoi notre
stratégie implique un deuxième volet, destiné à affaiblir
spécifiquement cet esprit de contestation.
Je passe assez vite sur le
premier point, la tactique d’infiltration économico-administrative, que
nos politiques et administrateurs comprennent assez bien, du moins
instinctivement si ce n’est avec une entière lucidité. L’assimilation
doit se faire en développant l’analogie entre l’université et les
autres entreprises. Il suffit d’utiliser le langage tiré du domaine
économique et industriel pour voir les éléments se mettre en place dès
qu’on cherche à appliquer les mots et les formules à la réalité
universitaire. On découvre sans trop de difficulté que les professeurs
travaillent, et qu’en tant que travailleurs, ils sont des employés de
l’université. Les étudiants profitent de l’enseignement qu’on leur
donne. Ils peuvent donc le considérer comme un service et passer pour
des clients, d’autant qu’ils paient une petite partie de leurs études.
D’un autre côté — mais il n’y a aucun mal à superposer plusieurs
images, pourvu qu’elles servent aux fins d’assimilation poursuivies —,
ces mêmes étudiants peuvent être vus comme un matériau brut que l’usine
universitaire transforme en des produits finis, en des outils
utilisables (avec quelques adaptations mineures parfois) par les autres
entreprises, et par l’université elle-même. Un autre produit de l’usine
universitaire est vite décelé : il consiste dans les résultats de
la recherche, en tant que ce sont des procédés techniques utilisables
également dans les autres maillons de la grande chaîne de production
universelle. Il est même avantageux de faire remarquer la
complémentarité des deux sortes de produits de l’université, les
diplômés pouvant souvent servir à mettre en oeuvre les produits de la
recherche, si bien que l’université peut fréquemment les lancer
ensemble sur le marché. L’assimilation se poursuit naturellement
ensuite en ce sens également du côté des professeurs. Comme ce sont
d’anciens étudiants que nous utilisons pour en former de nouveaux, nous
remettons en oeuvre nos propres produits. Bref, parmi nos ressources,
financières, matérielles et autres, nous pouvons situer en général les
ressources humaines, et, sous cette espèce, les ressources
professorales.
Je vous laisse compléter le
tableau. Cette esquisse aura suffi à faire voir et le principe de
l’opération et son bénéfice. Nous savons que nos récalcitrants se
situent dans les deux catégories hélas les plus nombreuses de personnes
actives à l’université : les professeurs et les étudiants. Il faut
leur enlever leur orgueil, leur tendance à se considérer comme
distincts des agents économiques. Dans les deux cas, on utilisera à la
fois une flatterie en réalité avilissante et une dégradation symbolique
de leur statut.
D’abord, aux professeurs, on
dira : « voyez, vous n’êtes pas des inutiles, vainement
occupés à des futilités hors des réalités de la vie, vous êtes des
travailleurs, indispensables à notre économie, comme les autres. »
Comme travailleurs, ils ont évidemment des intérêts à défendre, comme
les autres ; ils tombent dans le piège de se syndiquer, de jouer
l’affrontement ouvriers et patrons, et se constituent par là un patron
fictif, qui devient bientôt réel comme beaucoup de fictions. Et les
voilà pris. — Aux étudiants, on dira : « voyez, vous êtes en
réalité nos clients, de véritables adultes qui achètent et
consomment ; vous vivez le beau côté de la vie économique, celui
du client-roi ; tout tourne autour de vous à l’université, nous
sommes vos serviteurs, vous nous payez. » Et les voilà pris aussi.
Ils tendent à s’organiser en association de consommateurs, à magasiner
parmi les cours, à vouloir des bureaux où se plaindre s’ils ne sont pas
satisfaits de la marchandise, et surtout à se persuader qu’ils
reçoivent dans leurs cours quelque produit terminé, prêt à la
consommation : des informations, des savoirs, etc. Les voilà
devenus passifs sur le point essentiel, celui de leurs études, pendant
qu’ils s’activent vainement comme clients, renforçant par leurs
attentes et revendications la transmission non critique des savoirs.
Admirez maintenant comment nos
patients sont prêts à subir le deuxième moment de leur mutation
symbolique. Les travailleurs de la recherche et de l’enseignement
représentent une force anonyme, syndiquée, appliquée à des tâches par
une direction extérieure à eux. Trouvons une catégorie qui rassemble
cette classe avec les autres employés de l’université, dont ils ne
seront plus qu’une espèce. Réduisons encore ce genre à un autre, plus
universel, où ils se confondront parmi les moyens de production, comme
une espèce. Les voilà parmi les ressources à disposition de
l’administration universitaire. Et, par ce coup, leur orgueil se fait
briser la nuque. Quant à nos clients, ils sont dans le magasin, où tout
est déjà préparé pour eux. Mais ils ne sont pas si libres de ressortir,
parce qu’ils veulent pouvoir rester dans le circuit économique,
avantageusement si possible, en repartant. Alors, de clients amollis,
ils deviennent matériaux aptes à être formés dans les moules préparés
pour en faire à leur tour les marchandises qui seront mises sur le
marché par l’université pour d’autres clients, moins illusoires. En
outre, une fois les prétentions traditionnelles à la distinction
écrasées par cette mutation symbolique et effective, c’est également le
réseau de relations personnelles entre les membres de ces deux groupes
problématiques qui est défait au profit de la rencontre anonyme de deux
masses impersonnelles, dont les contacts sont régis par les procédures
d’opération de l’entreprise.
Le reste de la stratégie
d’assimilation n’est plus que l’enfance de l’art. Noyer les professeurs
et les étudiants dans une administration proliférante, noyer
l’université dans la vie sociale et économique en en confiant la
direction à un conseil d’administration (dont le nom seul déjà signifie
bien qu’on réduit pour l’essentiel la politique de l’université à
l’administration), intensifier toutes les formes d’interactions avec ce
milieu, soumettre de plus en plus les professeurs aux impératifs de
l’administration et aux administrateurs, qui ne voit que tout cela doit
être accompli ?
Venons-en donc plutôt à
l’autre aspect, plus particulier, de la cure, destiné à couper les
désirs qui s’opposent à cette évolution. Je commencerai par les
professeurs, puisque c’est eux qui traînent encore le plus le passé
traditionnel, et qu’ils risquent de représenter des modèles de vie
pernicieux pour les étudiants et de leur inoculer leurs lubies — non
pas qu’ils fassent nécessairement naître les désirs en question, mais
ils peuvent les favoriser là où ils s’éteindraient peut-être bientôt
sans aliment.
Il faut les attaquer dans
leurs deux domaines principaux d’activité : la recherche et
l’enseignement.
Du côté de la recherche, il
faut leur retirer le plus d’autonomie possible. Pour cela, il convient
de mettre au point un mécanisme qui est déjà en train de se constituer
avec une certaine cohérence, et qu’il suffit de raffermir. Afin de
contrôler la recherche, il s’agit de la saisir par ses aspects plus
publics. Le subventionnement de la recherche même, d’abord, doit être
confié à des organismes de caractère apparemment neutre, devant
lesquels on puisse faire paraître les chercheurs individuels comme des
requérants, pour ne pas dire des mendiants. Il faut que là aussi,
l’esprit gestionnaire domine et oblige les requérants à la soumission.
En principe, il ne faut jamais abandonner les professeurs à leur seul
jugement. On financera leur recherche, non pas globalement, mais par
projets, en leur demandant de décrire minutieusement leurs recherches
futures, et en contrôlant qu’ils ne dévient pas de leur planification,
par une procédure qui les oblige à revenir constamment devant le
tribunal des « pairs ». On s’assurera par là, premièrement,
qu’ils ne dévient pas des modes de recherche conventionnels et de
l’esprit de la science d’aujourd’hui, deuxièmement, qu’ils soient
découragés de se lancer dans des entreprises de pure science au sens
traditionnel.
En apparence, les subventions
sont uniquement des aides à la recherche, des faveurs à l’égard des
meilleurs chercheurs. En réalité, elles doivent devenir indispensables
même à ceux qui n’en ont pas besoin du pur point de vue financier. Pour
cela, on répandra déjà l’idée que la distribution des subventions est
l’indicateur par excellence, voire exclusif à terme, de la recherche
qui se fait sérieusement. De cette manière, les chercheurs les plus
indépendants seront incités à s’adresser aussi aux organismes
subventionnaires pour faire reconnaître leurs activités face à
l’administration de leur unité, à leurs collègues et à leurs étudiants.
De plus, on financera indirectement une partie de leur activité
d’enseignement par le canal de ces subventions, en soutenant leurs
étudiants avancés grâce aux fonds consacrés aux diverses formes
d’assistanats dans leur budget de recherche. De cette manière, le
chercheur non subventionné verra les étudiants avancés se tourner de
préférence vers ceux qui le sont et qui pourront leur offrir des moyens
de subsister. Enfin, on favorisera le travail en équipe, en supposant
simplement qu’il est seul sérieux et efficace. L’idée qu’on accroît ses
forces en les joignant correspond à une expérience si habituelle
qu’elle passera sans problèmes majeurs, de sorte que les universitaires
devront se soumettre ainsi au jugement permanent de leurs pairs dans
leur propre équipe, s’ils veulent continuer à être subventionnés. Puis,
quand l’opinion se sera répandue que les subventions sont l’indice par
excellence de la recherche, le moment sera venu d’opérer une
distinction entre les professeurs chercheurs et les autres, pour
moduler leurs tâches et contraindre à de plus lourdes charges
d’enseignement ceux qui ne seront pas censés consacrer leurs énergies à
la recherche. De cette manière, la recherche autonome recevra enfin le
coup de grâce.
Mais ici, il faut bien veiller
à ce que le dispositif soit réglé de telle manière qu’il agisse
automatiquement en se renforçant et en utilisant l’énergie même de ceux
qu’il doit étrangler, comme le nœud coulant se serre grâce au poids
même du pendu. Car s’il fallait se contenter d’agir de l’extérieur, on
risquerait de s’épuiser et de susciter la révolte. En effet, il importe
que la contrainte ne soit pas localisée. Toute l’activité
administrative à laquelle sont soumis les chercheurs subventionnés n’a
pas pour seul but de permettre leur contrôle de l’extérieur. Elle vise
aussi à les éduquer à l’esprit de la science conventionnelle
administrée. Grâce à cet effet formateur, chaque chercheur ne sera pas
seulement contrôlé par ses « pairs », mais il apprendra à
devenir l’un des « pairs » contrôleurs pour les autres.
Remarquez bien comment, dans
cette action formatrice réciproque, se trouve l’une des plus grandes
subtilités du système. Dans maintes circonstances, grâce à une
rotation, chacun des joueurs se trouvera dans la position du juge, à
l’intérieur d’un comité de pairs plus ou moins formel. On attendra donc
de lui qu’il évalue certains produits de la recherche de ses collègues
selon les critères admis. Et rien ne forme davantage au respect des
règles que l’effort de les appliquer avec justice au travail des autres.
L’une des grandes occasions de
cette formation, par contrainte extérieure comme par participation aux
jurys, sera donnée dans une réorganisation de tout le domaine de la
publication scientifique. Il suffit de subventionner les revues et les
maisons d’édition concernées, à condition qu’elles appliquent la règle
de l’évaluation par les pairs. L’effet est immédiatement double :
d’une part la sélection des textes se fera selon les critères appliqués
pour le subventionnement des recherches, puisque les revues devront
aussi montrer patte blanche aux organismes subventionnaires et seront
elles-mêmes jugées par les pairs ; d’autre part, en lisant ces
textes conformes, les chercheurs apprendront insensiblement le style de
recherche qu’on veut leur inculquer.
Voilà comment le chercheur
dissident se trouvera bientôt isolé, privé de soutien financier et de
considération, mené à douter de lui et à se réformer. On peut admirer
comment, contrairement à ce qu’il aurait pu sembler, bien organisé, le
constant contrôle par les pairs n’introduit pas le risque de donner
voix à la dissidence scientifique, mais renforce automatiquement la
conformité. Et il a l’avantage de donner l’illusion de l’autonomie de
la recherche scientifique.
Mais pour que le dispositif
fonctionne, il faut que certaines conditions soient remplies.
L’université doit déjà être baignée dans l’ordre économique,
administrée comme une entreprise, vouée majoritairement à la formation
de professionnels, et la majorité des chercheurs doit sentir le besoin
de se justifier socialement en se rendant utile et en orientant donc
ses recherches selon les critères d’utilité du milieu socio-économique
ambiant. C’est alors seulement que le mécanisme peut démarrer dans la
bonne direction. Après l’immersion dont nous avons parlé ci-dessus,
l’université est prête à la vaste opération du contrôle par les pairs.
Maintenant, il ne reste plus
qu’à encadrer de la même façon le professeur dans son enseignement. On
le soumettra de plus en plus à des programmes, évalués par ses pairs,
jusque dans le détail si possible, pour lui enlever toutes velléités
d’originalité. On soumettra le professeur enseignant à des spécialistes
de la fonction, en l’entraînant à une pédagogie dite universitaire, qui
lui apprendra à vendre ses informations à des clients blasés, à imposer
de bon ou de mauvais gré à ces matériaux humains la forme voulue.
Finalement, l’étudiant, formé
de cette manière, n’attendra plus rien de la science que ce qu’il aura
pris l’habitude d’en recevoir dans ses cours. On le surchargera
d’heures de cours, de petits et plus grands contrôles, de façon à ce
qu’il ait le moins souvent possible des velléités de s’égarer en errant
au hasard dans les bibliothèques. Il aura pris l’habitude de ne rien
apprendre que ce qu’on lui inculque dans ses cours, et on pourra lui
donner en retour la même fonction de contrôle sur ses professeurs, dont
il jugera les cours à partir des attentes que cette forme
d’enseignement aura fait naître en lui. A ce point, pour les
dissidents, le cercle est fermé, le nœud resserré, le souffle coupé.
5
Qu’on ne croie pas cependant
que je me sois contenté de décrire une bataille gagnée. C’est
uniquement un plan, déjà appliqué en partie, mais qui ne réussira que
si on le met en oeuvre dans toute son extension et toute sa cohérence.
Les vieux « savants » qui continuent à voyager entre les
mailles trop lâches du filet qu’on leur a tendu jusqu’ici sont des
originaux, souvent imprévisibles, qu’il convient de ne pas
sous-estimer. S’ils font partie des ressources de l’université, ils ont
également des ressources personnelles qui échappent à l’administration
universitaire, et qui leur permettent encore de continuer leur
existence parasitaire dans ses structures. On ne les mènera à la
reddition complète qu’en appliquant avec rigueur, sans faille, sans
pitié, le plan esquissé ci-dessus. La guerre est certes presque gagnée,
mais la bataille décisive est encore pour demain.
Pairs syndiqués,
professionnels en formation, administrateurs zélés, courage, ténacité,
et nous chasserons enfin la science de l’université !
Québec,
1992
G. B.
Publication par photocopie,
Internet et fichier PDF
(Texte à diffuser librement
par photocopie intégrale ou transmission intégrale du fichier)
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