Imaginez la structure politique
suivante. Des chefs de famille, qui commandent à leur guise leurs femmes, leurs
enfants, leurs esclaves, se réunissent en divers groupes, tantôt en se
soumettant à l'un d'entre eux, tantôt en se soumettant à l'autorité de leur
assemblée, ou à celle de certains d'entre eux. Les chefs de ces groupes
s'unissent à leur tour et se soumettent à une autorité commune. On peut
imaginer le nombre d'échelons qu'on voudra entre les premiers chefs de famille
et cette autorité supérieure. En un sens, celle-ci aura sous ses ordres tous
les membres des divers groupes, puisque son détenteur commandera à leurs
chefs. En un autre, les membres des groupes inférieurs ne dépendront pas
directement des autorités supérieures, mais seulement de celle qui est
immédiatement la leur et qui régit leur groupe. Par exemple, les femmes, les
enfants et les esclaves ne sont pas les citoyens de la cité que composent les
chefs de leurs familles, mais seulement les dépendants du chef de leur propre
famille. Et l'autorité supérieure de cette structure politique ne sera pas
leur chef et leur responsable, si ce n'est d'une manière indirecte et
lointaine. Voilà ce que serait une
union politique de communautés. Quelle que soit la forme de son gouvernement,
il ne faudrait pas compter les membres des communautés participantes comme
jouissant de la liberté que laisse ce gouvernement, puisqu'ils dépendraient
totalement de la communauté dont ils font eux-mêmes directement partie. Un tel
gouvernement n'aurait donc pas à défendre les droits des individus, mais ceux
des communautés qui le constituent ou de leurs chefs. L'État
que nous voulons et auquel nous attribuons comme mission la défense de la
liberté individuelle ne peut donc pas être conçu comme constitué d'une union
de communautés, quelles qu'elles soient. Il faut qu'il représente l'union
directe des individus au service desquels seuls il se trouve. Et dès que des
communautés prétendent y avoir des droits comme telles, c'est la mission de
l'État au service des individus qui s'y trouve mise en danger. Dès ce moment,
ce n'est plus au service des individus et de leur liberté, mais au service de
ces communautés que se met l'État dans l'exacte mesure où celles-ci y ont acquis
des droits qui ne sont pas strictement ceux des individus qui en sont les
membres. Pour
l'État qui représente les individus seuls et qui a leur liberté pour seule
fin ultime, les diverses communautés doivent rester strictement dépourvues de
tout droit comme telles, c'est-à-dire n'avoir jamais d'autres droits que ceux des
individus qui les composent et que l'État ne reconnaît jamais qu'à ce seul
titre d'individus. Et ses lois ne peuvent donc reconnaître également que des
individus, tous égaux dans ce rapport.
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